Le grand cross de Corlay
« ...L'infanterie anglaise ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, ... » (extrait de la bataille de Waterloo – Les misérables).
A l'instar des fantassins britanniques cités dans ce texte d'Hugo, j'entends, adossé près du talus Barach, la charge de ces cuirassiers montant vers moi puis les cris que poussent ces centaures comme pour exorciser la crainte qui les tenaillent en franchissant le formidable obstacle. L'arête de la haie vole en éclats. Les débris végétaux restent suspendus un instant par le souffle puissant de la galopade. La troupe retombe devant moi en plusieurs jets de sabots décrochant des gerbes de terre. Avec mon Nikon, je mitraille ces furieux à la réception parfois incertaine. Certains, mais plus rarement, se séparent de leur monture. J'ai même vu l'un de ces cavaliers, juste après le saut, accrocher et tirer en plein galop le bras d'un de ses concurrents chevauchant botte à botte, le remettant ainsi en selle in extremis. Quelle belle image de solidarité entre ces jockeys d'obstacle que le danger rapproche ; plus amis qu'adversaires.
La cavalcade se poursuit au travers les blés, avale fossés et route départementale dans un nuage de poussière pour disparaître dans un champ de maïs. Puis les casaques bigarrées reviennent vers l'hippodrome, attirées qu'elles sont par le poteau d'arrivée. Alors le peloton s'étire car les forts allongent la foulée. Hommes et bêtes sont éreintés par la longue montée ponctuée d'obstacles avant de surgir dans un dernier effort à l'entrée de la ligne droite des tribunes. Le brouhaha de la foule les porte jusqu'au bout et, les muscles submergés d'endorphines, ils savourent enfin la satiété que procure cette folle débauche d'énergie.